ANTIBLANCHIMENT – Modulation proportionnelle des obligations de vigilance des professionnels qui n’ont pas de clientèle propre mais qui effectuent des prestations pour un ou plusieurs cabinets

L’ITAA a reçu récemment de nombreuses questions de ses membres concernant la désignation des fonctions de compliance et la mise en oeuvre des obligations de vigilance en matière de prévention du blanchiment lorsqu’aucune prestation n’est effectuée directement pour des clients. Voici, à titre d’exemple, quelques questions qui résument les préoccupations légitimes des professionnels :

  • Je suis expert-comptable et réviseur d’entreprises. Je me suis déjà mis en ordre pour toutes les formalités concernant l’AMLCO et la PRHN pour mon cabinet agréé auprès de l’IRE. Cependant, j’ai également dû créer un numéro de TVA personne physique auprès de l’administration fiscale relativement à mon agrément auprès de l’ITAA, pour lequel je n’ai aucun chiffre d’affaires. Dois-je néanmoins désigner des responsables antiblanchiment si je n’ai pas de clients ? Et comment respecter les obligations y liées si je n’ai pas de clients à contrôler (ex : rapport annuel AMLCO) ?
  • Lorsque je consulte le portail ITAA, je comprends que je dois également compléter les fonctions d’AMLCO/PRHN pour mon entreprise en tant que personne physique. Il s’agit actuellement d’un numéro d’entreprise dormant et il n’y a donc pas de factures adressées aux clients. Je me suis actuellement inscrit en tant qu’AMLCO/PRHN, cela peut-il être maintenu ou n’est-ce pas nécessaire car il n’y a pas de facturation et qu’il n’y en aura normalement pas à l’avenir.
  • Je suis membre externe de l’ITAA mais je n’effectue aucune activité pour des clients. Dois-je désigner un AMLCO et un responsable au plus haut niveau, établir un Manuel de procédures internes et rédiger un rapport annuel d’activités ?

En vue de répondre aux demandes de ses membres, l’ITAA a rencontré, dans le courant du mois de mai 2021, les représentants de la CTIF afin de trouver une solution pragmatique et simplificatrice de la charge administrative en matière d’antiblanchiment dans les situations qui le justifient.

Toutes les parties en présence se sont mises d’accord sur la nécessité d’interpréter la législation antiblanchiment en fonction (i) de l’objectif poursuivi de prévention du blanchiment de capitaux et (ii) du principe de proportionnalité lié au risque contenu à l’article 8[1] (*) de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces.

(*) Art. 8. § 1er. Les entités assujetties définissent et mettent en application des politiques, des procédures et des mesures de contrôle interne efficaces et proportionnées à leur nature et à leur taille :1° afin de se conformer aux dispositions de la présente loi, des arrêtés et règlements pris pour son exécution, et des mesures d’exécution de la Directive 2015/849, et d’atténuer et gérer efficacement les risques en la matière identifiés au niveau de l’Union européenne, de la Belgique et de l’entité assujettie elle-même; (…)

Position de l’ITAA et de la CTIF :

  1. Le critère central pour déterminer les obligations de vigilance en matière d’antiblanchiment est le suivant : le professionnel qui effectue des prestations pour un ou plusieurs cabinets a-t-il une clientèle propre ou non ?

Si la réponse à cette question est non, les professionnels pourront opter pour une modulation proportionnelle de leurs obligations en matière de prévention du blanchiment.

Cette option sera seulement possible pour les professionnels qui n’ont pas de clientèle propre et qui ont une collaboration structurelle avec un autre professionnel économique.

Afin que vous puissiez déterminer si vous pouvez bénéficier de la modulation proportionnelle des obligations antiblanchiment, il nous a semblé nécessaire de définir les notions suivantes :

  • ‘absence de clientèle propre’ : le professionnel n’effectue aucune prestation comptable ou fiscale directement pour un client, étant entendu qu’un client est toute personne physique ou morale qui n’est pas un professionnel économique.

(**) Ainsi, un expert-comptable spécialisé en matière de douane qui effectue uniquement des prestations ponctuelles à la demande d’un autre cabinet ne pourra pas être considéré comme un professionnel qui effectue des activités pour cet autre cabinet de façon régulière et constante. Il devra ainsi être considéré comme ne faisant pas partie des collaborateurs du cabinet qui a fait appel à ses services et devra appliquer ses propres mesures de vigilance, sans pouvoir s’en référer à celles édictées dans l’autre cabinet.

  1. Qu’entend-on par modulation proportionnelle des obligations antiblanchiment ?

Les professionnels qui satisfont aux conditions précitées pourront choisir de moduler proportionnellement leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment. Concrètement cette modulation proportionnelle se manifestera par un allègement dans leur chef de la charge administrative liée aux obligations préventives de lutte contre le blanchiment, soit l’absence d’obligation de :

  • réaliser une procédure de politique d’acceptation des clients (PAC)
  • réaliser sa propre analyse de risque
  • mettre un place son propre canal interne de ‘whistleblowing’[3] (***)
  • désigner un AMLCO (l’absence d’obligation de désigner un AMLCO englobe évidemment l’absence d’obligation de rédiger un rapport annuel d’activités)
  • désigner un responsable au plus haut niveau;

(***) Ce canal doit être mis en place au sein du cabinet afin de permettre aux membres du personnel de signaler à l’AMLCO et, le cas échéant au responsable au plus haut niveau, par une voie spécifique, indépendante et anonyme, les infractions aux obligations en matière d’antiblanchiment.

Toutes les obligations de vigilance pourront être centralisées au niveau du ou des cabinets opérationnels pour lesquels le professionnel économique effectue les prestations.

Il s’agit d’une faculté mais non d’une obligation dans le chef des professionnels[4].(****)

(****) S’il le souhaite, le professionnel pourra par exemple toujours décider de nommer des personnes exerçant les fonctions d’AMLCO et de responsable au plus haut niveau au sein du cabinet n’ayant pas de clientèle propre (étant entendu que ces personnes pourront être différentes de celles nommées au sein du cabinet opérationnel). La centralisation des mesures de vigilance en matière de LAB au niveau du cabinet opérationnel doit être comprise comme une possibilité de simplification administrative offerte aux membres de l’ITAA, et non pas comme une obligation contraignante.

  1. Que faire si vous vous trouvez dans la situation où vous estimez pouvoir bénéficier de la modulation proportionnelle de vos obligations antiblanchiment ?

L’ITAA se penche actuellement sur les modifications à apporter à la plateforme pour pouvoir mettre en place en pratique cet allègement des obligations en matière de prévention du blanchiment de capitaux.

Il vous faudra dès lors faire preuve d’un peu de patience avant de pouvoir opter pour la modulation proportionnelle. Dans l’intervalle, l’ITAA n’attend de vous aucune action spécifique. Dès que la plateforme sera à jour, nous vous demanderons de faire le nécessaire pour activer votre option le cas échéant.

  1. Conclusion

Après avoir exposé la position de l’ITAA, revenons-en à la résolution concrète des questions posées en préambule au présent texte :

  • Le professionnel qui était à la fois membre de l’ITAA et de l’IRE mais qui n’avait pas de clientèle propre en tant que membre ITAA pourra, s’il le souhaite, s’affilier au cabinet de l’IRE pour autant qu’il dispose d’une collaboration structurelle avec celui-ci. Ceci aura pour conséquence que le professionnel échappera aux obligations suivantes au sein du cabinet ITAA : (i) désigner un AMLCO et un responsable au plus haut niveau, (ii) réaliser une procédure PAC, (iii) réaliser sa propre analyse de risque, (iv) mettre en place son propre canal interne de ‘whistleblowing’. Toutes les obligations de vigilance seront centralisées, si le professionnel le souhaite, au niveau du cabinet opérationnel inscrit auprès de l’IRE.

Allons encore plus loin dans le raisonnement : imaginons que le professionnel, à la fois membre de l’ITAA et de l’IRE, détecte une opération atypique. En principe cette opération atypique sera en toute logique détectée au sein du cabinet opérationnel inscrit auprès de l’IRE puisque c’est celui-ci qui dispose d’une clientèle propre. L’AMLCO de la société opérationnelle se chargera de la rédaction du rapport en cas d’opération atypique et, le cas échéant, du dépôt de la déclaration à la CTIF.  Toutefois, le professionnel – qui n’a pas de clientèle propre – ne doit pas nécessairement passer par le canal prévu au sein de la société opérationnelle. Il pourra ainsi, s’il le souhaite, déposer lui-même la déclaration à la CTIF sans être obligé de passer par la société opérationnelle.

  • Le professionnel qui a pour l’instant un numéro d’entreprise ‘dormant’ pour son entreprise individuelle en personne physique car aucune facturation n’est faite vis-à-vis de clients, a le choix suivant :

–    soit conserver son inscription en tant qu’AMLCO et responsable au plus haut niveau de son entreprise individuelle en personne physique (avec toutes les obligations en matière d’antiblanchiment que ce choix comporte),

–    soit s’affilier à un cabinet avec lequel il partage une collaboration structurelle.

  • Le professionnel qui est membre externe de l’ITAA mais qui n’effectue aucune activité pour des clients n’aura pas l’obligation de désigner un AMLCO et un responsable au plus haut niveau, ni d’établir un Manuel de procédures internes, ni de rédiger un rapport annuel d’activités. Il pourra s’affilier auprès d’un cabinet opérationnel pour lequel il effectue de façon régulière et constante des activités.

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Axelle Dekeyser

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